Les investisseurs devraient-ils se méfier de la reprise rapide du marché du crédit ?
Les marchés des obligations d’entreprise ont fortement rebondi depuis le plus fort de la crise du Covid-19. Cela reflète plus l’ampleur des mesures des pouvoirs publics que les dommages subis par les fondamentaux des entreprises.

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La rapidité de la reprise du marché du crédit en a surpris plus d'un. Depuis fin mars, les spreads de crédit ont rattrapé la majeure partie de l’écartement observé en début d’année. Le spread corrigé des options (OAS) des obligations Investment Grade (IG) américaines est passé de 400 points de base (pb) à 170 pb, au 15 juin. Sur le marché des obligations à haut rendement (HY), la reprise s’est d’abord montrée plus timide, puis les spreads des obligations HY ont également connu une forte remontée.
Alors que les spreads restent élevés par rapport au début de l’année, le brusque revirement a confondu ceux qui s’attendaient à ce que la crise dure plus longtemps. Les marchés ont-ils raison d'intégrer dans les cours une reprise si rapide ? Les spreads de crédit étant supposés refléter les perspectives actuelles et futures des entreprises, les marchés doivent avoir réévalué les probabilités.
Selon nous, l’évolution des derniers mois pourrait en effet justifier une perspective plus positive et un resserrement des spreads. Le niveau sans précédent de soutien des pouvoirs publics a aidé de nombreuses entreprises à traverser la crise. Cependant, deux questions demeurent : ce soutien est-il suffisant et sera-t-il payant sur le moyen terme ?

Les banques ont gardé les robinets ouverts
Il faut souligner que les entreprises ont été en mesure de surmonter la tempête du fait que les banques ont continué de prêter malgré la mise à l’arrêt de grands pans de l’économie. En mars et avril, les prêts commerciaux et industriels américains ont augmenté de plus de 600 milliards de dollars. Comme le montre le graphique ci-dessous, les banques, qui réduisent généralement les prêts en période de récession, ont fait le contraire cette fois-ci.
Plus précisément, un certain nombre d’entreprises ont pu utiliser les lignes de crédit mises en place avant la crise du Covid-19. Ces lignes ont permis aux entreprises d’accroître leurs liquidités et de combler leur déficit de trésorerie. Il est peu surprenant que les prêts aient le plus augmenté dans le secteur de la consommation cyclique, secteur le plus affecté par les mesures de confinement.

La situation est similaire en Europe. Dans la zone euro, les prêts aux entreprises non financières ont augmenté de 190 milliards d’euros en mars et avril, contre 115 milliards d’euros pour l’ensemble de l’année 2019. Par ailleurs, les banques de la zone euro ont indiqué qu’elles continueront de prêter malgré l’incertitude.
La Réserve fédérale a donné un signal positif aux investisseurs
Le 23 mars, la Réserve fédérale (Fed) a annoncé que, pour la première fois, elle achèterait des obligations d’entreprise, tant sur le marché primaire (direct de l’émetteur) que sur le marché secondaire. Les spreads de crédit ont connu un pic le jour de l’annonce. Dans une deuxième annonce le 9 avril, la Fed a déclaré qu’elle allait également acheter des obligations à haut rendement notées Investment Grade jusqu’au 22 mars et des fonds négociés en bourse (ETF) à haut rendement.
L’ironie est que le mécanisme de facilités de crédit aux entreprises sur le marché n’est devenu opérationnel qu’à la mi-mai et, au 12 juin, la Fed n’avait acheté que 5,5 milliards de dollars d’ETF IG et HY, soit une goutte d’eau dans l’océan par rapport à la taille maximale de 750 milliards de dollars du programme. En revanche, les investisseurs, enhardis par le soutien implicite de la banque centrale, ont fait le travail pour la Fed.
Le marché primaire obligataire s’était déjà ouvert fin mars et les émissions se sont accélérées depuis. À fin mai, les émissions américaines IG ont dépassé 1 000 milliards de dollars, soit le double du montant atteint au même moment en 2019. Après un démarrage plus lent, les émissions américaines du segment du haut rendement se sont également redressées, passant de 107 milliards de dollars à 140 milliards de dollars. Une partie du produit de ces émissions a été utilisée pour rembourser les lignes de crédit, l’encours des prêts ayant légèrement diminué en mai.
Dans le sillage du retournement rapide des spreads de crédit, les flux de capitaux ont de nouveau afflué vers les fonds obligataires, en particulier au cours des dernières semaines. Étonnamment, la collecte des fonds d’obligations à haut rendement a été relativement plus importante. Les rendements sans risque étant très faibles sur l’ensemble des marchés développés, les afflux de capitaux devraient continuer de soutenir le marché, du moins pour l’instant.
Le volume des « anges déchus » a diminué depuis mars
Sur le marché des obligations IG, la principale préoccupation est une vague potentiellement importante de dégradations de la note des entreprises d’IG à haut rendement, sachant que les obligations BBB représentaient la moitié du marché début 2020. En février et mars, les obligations dont la note a été abaissée au segment haut rendement totalisaient 116 milliards de dollars. Parmi elles se trouvaient certains émetteurs de grande taille tels que Ford et Occidental Petroleum. La bonne nouvelle est que le volume des obligations ayant fait l’objet d’un déclassement ou « anges déchus » a été significativement plus faible en avril et mai (21 milliards de dollars).
Si l'on se réfère aux cycles précédents, en 2002 et 2009, le volume d’anges déchus a atteint respectivement 16 % et 13 % de l’indice BBB. Actuellement, le chiffre n’est que de 4 %, ce qui signifie qu’il pourrait y avoir encore 250 à 350 milliards de dollars de déclassements, si l'on se fie au passé.
Toutefois, tout aussi important que le volume des obligations dégradées est le prix auquel ces obligations entrent dans l’indice HY. En cas de baisse relativement faible des prix (augmentation des spreads), la perte pour les investisseurs serait modérée et la transition moins brutale.
La promesse de la Fed d’acheter les obligations d’entreprise dégradées est très importante à cet égard. En effet, même si une entreprise perd sa note Investment Grade, elle peut conserver l’accès au financement à un prix raisonnable. Cette flexibilité supplémentaire s’est rapidement traduite dans les prix des obligations des anges déchus, qui, après s’être fortement affaiblis en mars, se sont rapidement redressés. Le spread de l’obligation Ford arrivant à échéance en 2022 est passé de 824 pb à 460 pb suite à l’annonce de la Fed en avril.
Le taux de défaut du segment haut rendement augmente
Sur le marché du haut rendement, les défauts ont commencé à augmenter. Le taux de défaut du HY américain s’établit à 6,3 % fin mai, son niveau le plus élevé depuis 2010. Jusqu’à présent, les défauts se sont concentrés dans les secteurs de l’énergie et des télécommunications, avec 35 milliards de dollars de défauts depuis le début de l’année. Les défauts dans d’autres secteurs exposés à la crise du Covid-19 ont été relativement modestes (11 milliards de dollars), malgré le défaut de certains grands émetteurs de qualité comme Hertz ou JC Penny.
Moody’s s’attend à ce que le taux de défaut du segment HY américain atteigne 12 % fin 2020. Cette prévision implique un volume significatif de défauts au second semestre 2020. Les investisseurs peuvent trouver un certain réconfort dans le fait que les spreads atteignent normalement un pic bien avant les défauts, les marchés ayant tendance à anticiper le potentiel d’amélioration des perspectives des entreprises.
Une exception à cette règle est la récession du début des années 2000, lorsque les spreads de crédit ont atteint un pic quatre mois après les défauts en octobre 2002. À cette date, la reprise de l’économie américaine avait déjà commencé depuis un an. La situation actuelle présente des similitudes, le cycle de défaut faisant suite à une longue période de croissance ininterrompue et d’accumulation importante de la dette des entreprises.

La détérioration des fondamentaux des entreprises implique une plus grande vulnérabilité
Des prêts bancaires accommodants et les mesures extraordinaires de la Fed ont permis aux entreprises d’emprunter rapidement de l’argent, leur donnant un peu de répit pour faire face à la crise. Toutefois, le prix de ce soutien est que les fondamentaux des entreprises se dégradent rapidement.
Les données du premier trimestre montrent que l’endettement net de la société non financière médiane des indices américains des obligations IG et HY a atteint un plus haut historique de 2,8x et 4,4x respectivement. En outre, l’impact défavorable sur les bénéfices sera plus important au deuxième trimestre, les perturbations économiques ayant atteint leur maximum en avril et mai. Il ne sera pas possible d’évaluer l’ensemble des dommages sur les bilans des entreprises avant un certain temps.

Les analystes actions s’attendent à ce que les bénéfices des entreprises américaines se rétablissent totalement d’ici la fin de l’année 2021. Un tel scénario pourrait permettre aux entreprises de rembourser la plupart des prêts d’urgence reçus et de se désendetter, au moins dans une certaine mesure. Toutefois, si la reprise est plus faible et que l’endettement reste élevé, les entreprises seront encore plus vulnérables aux chocs futurs, ce qui soulève le problème de la viabilité de la dette.
Mais y a-t-il une raison de s'inquiéter dans l’immédiat ?
Au cours de la dernière décennie, la faiblesse des taux d’intérêt a permis aux entreprises d’emprunter davantage. Sur le marché des obligations IG, malgré un endettement beaucoup plus élevé, le ratio de couverture des intérêts reste quasiment le même qu’en 2008. Avec des rendements obligataires à des plus bas historiques, la plupart des sociétés Investment Grade devraient pouvoir continuer à honorer leur dette.
En revanche, le ratio de couverture du haut rendement américain a nettement diminué depuis 2008 et, au premier trimestre, il est tombé à un plus bas historique. Par conséquent, le haut rendement pourrait être plus vulnérable à une baisse prolongée des bénéfices, même à des taux d’intérêt historiquement bas.

Le soutien de la banque centrale peut-il changer la donne ?
À l’avenir, les investisseurs devraient-ils moins s’inquiéter d’un gel du marché du crédit compte tenu du soutien de la banque centrale ? Bien que les achats d’obligations d’entreprise de la Fed aient été modestes et qu’aucune société n’ait jusqu’à présent utilisé la facilité de crédit sur le marché primaire, l’option existe en cas de besoin. Les deux facilités de crédit aux entreprises devraient expirer au plus tard le 30 septembre 2020, mais la Fed a la possibilité de les prolonger.
Plus généralement, l’implication accrue des banques centrales sur le marché pourrait se traduire par des changements fondamentaux. En théorie, toutes choses égales par ailleurs, la possibilité d’emprunter directement auprès de la Fed devrait atténuer le risque sur les obligations d’entreprise. De plus, les achats d’obligations d’entreprise pourraient devenir un outil de politique monétaire permanente, au même titre que les achats d’emprunts d’État.
En revanche, la Fed pourrait ne pas être à l’aise avec ce niveau d’intervention sur le marché, d’autant plus qu’elle a été critiquée pour l’extension de son programme aux achats d’obligations à haut rendement. Néanmoins, il pourrait être difficile pour la Fed de retirer son soutien pour le moment, sans déstabiliser le marché. Lors du « Taper Tantrum » de 2013, l’annonce que la Fed commencerait à réduire ses achats d’emprunts d’État a entraîné un bond soudain des rendements des emprunts d’État.
Quoi qu’il en soit, les enjeux sont élevés. Si la Fed peut apporter une liquidité illimitée et maintenir les sociétés à flot, elle ne peut pas améliorer la rentabilité des entreprises. Une recherche de Deutsche Bank montre qu’aux États-Unis, la part des « zombies », sociétés dont les coûts du service de la dette sont supérieurs aux bénéfices, a été multipliée par dix depuis 2002.
Quelqu’un a dit un jour que le capitalisme sans faillite est comme la religion sans enfer. Sans cette menace, le système perd de son sens. Les investisseurs doivent donc se méfier de ce qu'ils souhaitent.
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