Changement de régime : le retour de « l’activisme budgétaire »
Les politiques fiscales et de dépenses sont de retour, à l’heure où les gouvernements tentent d’atténuer les effets de la hausse de l’inflation. Selon nous, une politique budgétaire plus active ne sera qu’un des aspects d’un nouveau régime sur les plans politique et du comportement du marché dans les années à venir.
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L’inflation élevée reste une préoccupation majeure pour les investisseurs. Elle oriente les décisions des banques centrales et influence les rendements obligataires et les valorisations de l’ensemble des classes d’actifs. Les banques centrales devraient, selon nous, parvenir à maîtriser les taux d’inflation élevés actuels au cours des 12 à 18 prochains mois. Nous n’envisageons toutefois pas un retour à la période qui a suivi la crise financière mondiale, au cours de laquelle les responsables politiques ont eu du mal à générer une inflation suffisante pour atteindre leurs objectifs.
Cette période, souvent qualifiée de « lowflation », sera suivie, selon nous, d’une phase où l’inflation sera plus élevée et plus volatile. Les facteurs défavorables qui pesaient sur les prix s’estompent et nous entrons dans un nouveau régime caractérisé par des pénuries du côté de l’offre et des hausses de prix plus fréquentes (voir Changement de régime: investir dans la nouvelle ère).
Dans ce nouveau régime, la politique monétaire devra rester axée sur la maîtrise de l’inflation, ce qui pourrait laisser le champ libre à la politique budgétaire pour gérer la croissance, ou l’absence de croissance.
Par conséquent, l’équilibre entre politique monétaire et politique budgétaire devrait changer. Les politiques monétaires ultra accommodantes de la période post-crise financière mondiale, avec des taux d’intérêt bas et une austérité budgétaire, devraient être remplacées par une nouvelle association de politique monétaire plus stricte et de politique budgétaire plus accommodante. Dans cette note, nous examinons les moteurs de « l’activisme budgétaire » et ses implications économiques potentielles.
La tendance en faveur de la politique budgétaire a été renforcée par l’intervention des gouvernements pendant la pandémie et, plus récemment, en réponse à la crise énergétique en Europe. La montée du populisme a également joué un rôle important, en augmentant la pression sur les responsables politiques pour les pousser à être plus actifs. Une plus grande dépendance vis-à-vis de la politique budgétaire signifie que la politique macroéconomique deviendra plus politique, car elle présente des choix, tels que savoir qui et quoi taxer et où dépenser, par rapport aux instruments peu efficaces de politique monétaire, de taux d’intérêt et d’assouplissement/de resserrement quantitatif.
Toutefois, la voie vers un plus grand activisme budgétaire est difficile et risque d’entraîner d’importants conflits avec les banques centrales et les marchés – comme nous l’avons vu au Royaume-Uni après la récente débâcle autour de son « mini-budget ». Le renforcement de l’activisme budgétaire pourrait donc impliquer d’autres changements plus radicaux du cadre politique. Une synthèse de nos principales conclusions figure à la fin de cet article.
Le retour du « grand gouvernement », la montée du populisme et les nouvelles priorités politiques
L’expérience de la pandémie a joué un rôle clé dans la transition vers l’activisme budgétaire. Partout dans le monde, les gouvernements sont intervenus avec succès pour soutenir les revenus des ménages par le biais de dispositifs de chômage partiel et de transferts directs, tout en organisant le déploiement des programmes de vaccination de masse. Les récentes mesures de soutien à l’énergie en réponse à la hausse des coûts déclenchée par la guerre en Ukraine sont un autre exemple d’intervention réussie. Avec le retour du « grand gouvernement », nombreux sont ceux à demander aux autorités d’être plus actives dans d’autres domaines et plus disposées à utiliser les dépenses publiques pour résoudre les problèmes.
On peut se demander si la réponse à un événement ponctuel, comme une pandémie ou une guerre, doit continuer de justifier un recours accru à la politique budgétaire dans des circonstances plus normales. En effet, on peut soutenir que la réponse budgétaire à la pandémie était excessive et a semé les graines de l’inflation élevée d’aujourd’hui. Ancien secrétaire au Trésor des États-Unis, Larry Summers a très tôt averti que le plan américain pour l’emploi du président Joe Biden en 2021 allait faire grimper les prix. Juger de l’ampleur et du moment des interventions budgétaires a toujours été problématique et s’est souvent traduit par une relance pro-cyclique plutôt que contracyclique, exacerbant la volatilité du cycle économique.
Néanmoins, l’expérience de la pandémie semble avoir enhardi les populistes et les partis anti-establishment, qui retrouvent une partie de la dynamique qu’ils avaient perdue au début de la crise sanitaire. Avant la pandémie, ces partis recueillaient une part croissante du vote du public, dans un contexte de croissance économique trop faible, de hausse des inégalités et de pression croissante sur les services publics après la crise financière mondiale. L’Italie, par exemple, a été à l’avant-garde de cette tendance avec une coalition de partis de droite dirigée par Giorgia Meloni, qui a pris le pouvoir en octobre de l’année dernière (graphique ci-dessous).

La pandémie a peut-être pu détourner temporairement l’attention, les préoccupations générales qu’une partie de la population, qui n’avait constaté aucune hausse de leurs revenus réels en dix ans, soit de grands oubliés de la politique économique ont refait surface. La vague de grèves qui a frappé l’économie britannique en est un signe. Les travailleurs cherchent à obtenir des augmentations de salaire afin de récupérer une partie de la perte de revenus réels causée par la forte inflation. Cette tendance est conforme aux résultats de recherche du FMI, qui ont montré que les pandémies sont souvent suivies de troubles sociaux. Ceux qui ont fait des sacrifices pendant la crise sanitaire sont souvent déçus par l’absence de changement une fois celle-ci terminée et sont prêts à faire pression plus fort en vue d’obtenir une meilleure situation.
La politique monétaire est devenue moins efficace et plus politique
Le désir d’avoir une approche budgétaire plus active reflète également le mécontentement croissant à l’égard de la politique monétaire. Après avoir été le moteur de la croissance pendant des années, les changements monétaires ont semblé perdre leur efficacité à la suite de la crise financière mondiale. Les niveaux élevés d’endettement, la dégradation des notations de crédit et le durcissement de la réglementation bancaire ont conjointement atténué l’impact de l’assouplissement de la politique monétaire sur la croissance économique. La période de faible inflation qui a suivi la crise financière mondiale a également été marquée par une croissance parmi les plus faibles, malgré les taux d’intérêt les plus bas jamais enregistrés dans de nombreuses économies.
Pour compliquer les choses, le recours par les banques centrales à l’achat d’actifs, ou assouplissement quantitatif, a été perçu comme un facteur d’aggravation des inégalités. L’assouplissement quantitatif a contribué à la hausse des prix des actifs en abaissant les taux d’intérêt à long terme des emprunts d’État, poussant les investisseurs le long de la courbe du risque. En conséquence, les liquidités sont passées des dépôts bancaires et des emprunts d’État à l’immobilier, aux actions et à toute une série d’autres actifs risqués, dont les détenteurs se sont tout simplement enrichis.
Parallèlement, à mesure que la répartition des richesses s’orientait davantage vers le haut de la fourchette, la pression exercée sur les salariés de la fourchette inférieure de distribution des revenus s’est intensifiée. Cela s’explique par des changements plus importants dans l’économie mondiale, tels qu’une mondialisation accrue et une plus grande adoption de la technologie.
Bien que ces facteurs ne relèvent pas du champ d’application de la politique monétaire, ils ont renforcé le mécontentement à l’égard des performances de l’économie et alimentent l’appel à un changement de cap, ce qui accroît l’attrait des partis populistes.
La politique monétaire se concentre désormais sur la réduction de l’inflation. Aujourd’hui, les taux d’intérêt s’inscrivent en hausse et l’assouplissement quantitatif touche à sa fin aux États-Unis, dans la zone euro et au Royaume-Uni. La politique monétaire se resserre pour faire baisser l’inflation après sa flambée post-pandémique et selon nous, les banques centrales parviendront à rétablir une certaine stabilité des prix en 2023.
Nous pensons toutefois qu’à plus long terme, l’inflation devrait être plus difficile à maîtriser dans le nouveau régime. Les défis posés à la mondialisation du fait de la situation géopolitique et de l’attention accrue portée à la sécurité des chaînes d’approvisionnement (que nous étudierons dans la partie 3 de la série sur le changement de régime) et à l’accélération de la réponse au changement climatique (objet de la partie 5) devraient être d’ordre inflationniste. Les taux d’intérêt devront être plus élevés au cours de ces dix prochaines années qu’ils ne l’ont été depuis la crise financière mondiale.
Le changement de régime devrait donc signifier que la politique monétaire privilégiera le contrôle de l’inflation (objet de la partie 1 de la série), laissant potentiellement le champ libre à l’activisme budgétaire pour gérer la croissance. L’équilibre entre politique monétaire et politique budgétaire devrait se détourner d’une combinaison de liquidités abondantes et de resserrement budgétaire, au profit d’une politique monétaire stricte et d’une politique budgétaire accommodante.
Toutefois, la voie vers un plus grand activisme budgétaire est difficile et pourrait impliquer d’autres changements, potentiellement radicaux, du cadre politique.
Un endettement élevé pourrait mettre les gouvernements, les marchés et les banques centrales en conflit
Comme l’a constaté à ses dépens le précédent gouvernement britannique avec son mini-budget de septembre dernier, il n’est pas simple de remplacer la politique monétaire par une politique budgétaire expansionniste en vue de stimuler la croissance. La politique monétaire vise à réguler la demande globale dans l’économie et l’ajout d’une politique budgétaire expansionniste risque de tirer les taux d’intérêt à la hausse sans aucun avantage pour la croissance globale.
La combinaison d’une politique monétaire restrictive et d’une politique budgétaire expansionniste a été comparée à la conduite d’une voiture avec un pied sur l’accélérateur et l’autre sur le frein. Le retour de l’activisme budgétaire pour générer une croissance plus forte risque d’entraîner un conflit avec les banques centrales.
Le problème est aggravé par le niveau élevé de la dette publique, de sorte qu’une hausse des taux d’intérêt et du coût des emprunts peut constituer une contrainte importante pour les dépenses publiques. Les chiffres du FMI montrent que le ratio dette publique/PIB des pays avancés du G20 a bondi à plus de 130% en 2020, soit une augmentation de plus de 20 points de pourcentage par rapport aux niveaux de 2019, avant la pandémie (graphique ci-dessous). Le soutien des pouvoirs publics via des dispositifs de chômage partiel et de transferts budgétaires à destination des ménages et le déploiement de la vaccination expliquent en grande partie cette augmentation.

Cette situation s’atténue à mesure que le nombre de décès diminue et que le virus devient plus endémique, même si les dépenses demeurent élevées car les systèmes de santé doivent faire face à l’arriéré de cas non traités. Le soutien énergétique aux ménages et aux entreprises contribue également à l’endettement. La reprise économique fait baisser le ratio dette/PIB, et le FMI prévoit une stabilisation autour de 125% pour les pays avancés du G20, sans atteindre des niveaux record, mais en restant bien au-dessus des niveaux d’avant la pandémie. Si l’on ajoute à cela le passage à un nouveau régime de taux d’intérêt plus élevés, le coût des emprunts d’État devrait augmenter à l’avenir. Les chiffres du FMI suggèrent que pour les pays du G20, les coûts d’intérêt sont passés d’un peu plus de 1% du PIB l’année dernière à 1,5% cette année, et devraient atteindre près de 2% d’ici 2025. La récente hausse des rendements des emprunts d’État mondiaux laisse penser que ce chiffre pourrait être atteint plus rapidement voire ressortir plus élevé (graphique ci-dessous).

Jusqu’à présent, nous avons souligné la demande croissante en faveur d’une politique budgétaire plus active et les défis posés par un conflit potentiel avec la politique monétaire et des niveaux d’endettement élevés. La situation est très différente de l’époque où John Maynard Keynes proposait la politique budgétaire comme moyen de sortir l’économie de la dépression et de la déflation dans les années 1930. Avec le chômage élevé et la chute des prix, les dépenses publiques directes ont été un moyen de stimuler la croissance à une époque où l’on craignait que la politique monétaire ne soit tombée dans un piège à liquidités, la rendant inefficace du fait de la contraction du système bancaire. Aujourd’hui, l’inflation est le problème, non la déflation. La politique monétaire fonctionne toujours et la dette publique est nettement plus élevée.
Sur cette base, les gouvernements qui souhaitent être plus actifs sur le plan budgétaire doivent conserver un cadre budgétaire crédible dans leurs budgets où, par exemple, le ratio dette/PIB se stabilise à moyen terme. Dans le cas contraire, ils risquent de s’attirer les foudres des garde-fous des marchés obligataires et de voir les dépenses supplémentaires absorbées par des coûts d’intérêt plus élevés lorsque les marchés se replient.
Cela signifie que l’accent sera davantage mis sur ce que les économistes appellent la « marge de manœuvre budgétaire », que le FMI définit comme suit : la marge de manœuvre permettant de mener une politique budgétaire discrétionnaire par rapport aux plans existants sans compromettre l’accès au marché et la viabilité de la dette. La capacité d’un gouvernement à être plus actif sur le plan budgétaire et à compenser le durcissement de la politique monétaire dépendra de la marge de manœuvre budgétaire dont il dispose.
Il n’existe pas de définition précise de son mode de calcul, mais les gouvernements disposent d’une marge de manœuvre budgétaire d’autant plus grande que leur déficit et leur niveau d’endettement sont faibles, que l’échéance de la dette est longue, que leurs engagements non liés à la dette (tels que les obligations non capitalisées au titre des retraites) sont faibles, qu’ils dépendent des investisseurs étrangers et qu’ils respectent leurs engagements. Le tableau ci-dessous présente certains de ces facteurs pour une sélection d’économies ainsi que leur notation S&P.

À cet égard, la marge de manœuvre budgétaire et le périmètre d’une politique budgétaire plus active sont plus importants en Allemagne et au Canada, notés AAA, qu’en Italie, notée BBB, en raison par exemple de leurs niveaux d’emprunt et de dette relativement faibles. Toutefois, il faut interpréter ces données avec prudence : en tant que membre de la zone euro, l’Italie devrait être soutenue par l’ensemble du groupe, la Banque centrale européenne promettant de prendre des mesures pour contrôler l’élargissement des spreads obligataires italiens. Dans le même temps, les indicateurs budgétaires des États-Unis ne sont pas les plus solides, mais en tant que marché obligataire refuge, ils devraient disposer de davantage de marge de manœuvre que d’autres pays notés AA, comme le Royaume-Uni. Nous reconnaissons toutefois que le débat à venir sur le plafond de la dette mettra ce point à l’épreuve.
Trajectoires vers une politique budgétaire active : travailler au sein du système existant, ou le modifier
Dans le nouveau régime, les gouvernements devraient tester les limites de leur marge de manœuvre budgétaire. Beaucoup accepteront simplement l’impact des dépenses supplémentaires sur la politique monétaire et décideront qu’augmenter les emprunts publics pour traiter de priorités politiques vaut la peine de subir des taux d’intérêt plus élevés. Par exemple, l’augmentation des dépenses dans la santé et les soins aux personnes âgées pourrait être considérée comme une réponse à la demande publique et une amélioration du bien-être. Elle pourrait également soutenir l’offre au sein de l’économie en permettant aux personnes malades de reprendre le travail et en atténuant les pénuries de main-d’œuvre créées par la pandémie.
Néanmoins, s’il n’est pas compensé par une hausse des impôts ou une réduction des dépenses ailleurs, le coût de l’activisme budgétaire se traduira par un accroissement des déficits budgétaires et des taux d’intérêt. La croissance serait alors détournée des secteurs de l’économie les plus sensibles aux taux d’intérêt au profit du secteur public et de ses fournisseurs. Il s’agirait d’un cas d’« éviction » de l’activité privée par le secteur public, dans la mesure où l’augmentation des dépenses de santé supplanterait par exemple l’activité du secteur privé du logement.
En quoi est-ce important ? Même si la croissance globale du PIB pourrait être la même, l’augmentation de l’offre de services publics pourrait accroître la satisfaction de la population à l’égard de l’économie. Afin d’atténuer l’impact sur les marchés financiers et les coûts d’intérêt, le gouvernement devra faire valoir que l’augmentation des dépenses publiques stimulera la croissance à long terme de l’économie. Il pourrait donc être nécessaire de se concentrer sur les dépenses d’investissement et la formation en vue de renforcer la productivité à long terme.
Outre les dépenses de santé, cela pourrait inclure une augmentation des investissements dans les régions où la productivité est à la traîne, ainsi qu’une augmentation des dépenses consacrées à l’atténuation et au développement de technologies permettant de lutter contre le changement climatique.
Ce point de vue est loin d’être universel. D’autres s’inquiètent de l’augmentation de la taille de l’État et du poids de la hausse des impôts sur les incitations à travailler et à investir. Si la hausse des taux d’intérêt s’avérait être une contrainte trop importante, les autorités devraient alors envisager une augmentation des impôts et des politiques plus redistributives en vue de réduire le déficit budgétaire. Dans le contexte actuel, où les impôts existants sont déjà élevés dans de nombreuses économies, nous pourrions voir de nouvelles taxes sur les terres, ou plus généralement sur le patrimoine, figurer à l’ordre du jour.
Une autre voie, moins controversée, consisterait à appliquer pleinement le taux d’imposition minimum de 15% de l’OCDE sur les entreprises, celui-ci étant conçu pour lutter contre l’évasion fiscale de nombreuses multinationales, en particulier les grandes entreprises technologiques.
Il est clair que des choix politiques doivent être faits et, outre les hausses d’impôts ou les réductions des dépenses, il y aurait un regain d’intérêt à remettre en question les limites de l’État et la privatisation. Si aucun de ces moyens n’est acceptable, l’alternative consiste à adopter une approche plus radicale et à essayer de changer le système existant.
Changements radicaux : contrôler les garde-fous des marchés obligataires
À cet égard, l’approche consisterait à renforcer la répression financière et à contrôler les marchés obligataires de sorte que les garde-fous des marchés obligataires ne soient pas en mesure de tirer les rendements à la hausse par crainte d’une augmentation des emprunts d’État. Dans une certaine mesure, cela s’est produit dans le cadre de l’assouplissement quantitatif, lorsque les achats d’emprunts d’État par les banques centrales ont permis de contenir les rendements et que la proportion d’obligations à rendement négatif a atteint près de 30% du marché mondial (graphique ci-dessous).

Un nouvel assouplissement quantitatif semble peu probable, étant donné que les banques centrales devront lutter contre l’inflation et les conséquences négatives évoquées plus haut. En revanche, la réglementation pourrait être utilisée pour diriger les fonds vers le marché obligataire, par exemple en imposant aux institutions d’investissement de détenir davantage d’emprunts d’État. Un certain nombre de pays le font déjà pour des raisons de prudence.
Toutefois, en affaiblissant la discipline de marché de cette manière, le risque d’une hausse de l’inflation serait plus important en maintenant les taux d’intérêt plus bas qu’il n’en serait autrement, de sorte que ceux qui poursuivent cette voie envisageraient également des changements au niveau de la banque centrale. Cela pourrait signifier une modification de leur mandat visant à tolérer une inflation plus élevée. Par exemple, en augmentant l’objectif d’inflation ou en adoptant un double mandat plus explicite d’objectifs d’inflation et d’emploi. La sanction ultime serait de supprimer l’indépendance des banques centrales et de permettre aux autorités de reprendre le contrôle de la politique monétaire.
Bien évidemment, chacune de ces mesures provoquerait une réaction violente des marchés financiers. Les gouvernements devraient également réfléchir sérieusement aux conséquences, notamment la hausse de l’inflation.
On pourrait même avancer qu’une inflation élevée serait la bienvenue, car elle permettrait de réduire des niveaux d’endettement élevés. En pratique, cette option pourrait ne pas exister. La hausse de l’inflation pourrait doper le PIB nominal et donc réduire le ratio dette/PIB. L’impact sur les finances publiques est toutefois complexe et devrait varier selon les pays. Une inflation plus élevée fait grimper l’assiette fiscale, mais exacerbe les pressions sur les dépenses. Une grande partie des dépenses publiques est liée à l’inflation, en particulier les retraites et les prestations sociales. Les salaires du secteur public devraient également progresser.
L’impact sur les coûts d’emprunt sera déterminant. Bien que le gouvernement contrôle effectivement les taux d’intérêt par le biais de la répression financière, certains coûts d’emprunt devraient augmenter avec l’inflation, notamment ceux des obligations indexées, y compris sur l’inflation. Le Royaume-Uni est particulièrement vulnérable à cet égard, étant donné qu’il affiche l’un des niveaux les plus élevés d’encours de dette indexée sur l’inflation, soit 25% du total. Selon la Banque des règlements internationaux, les autres grandes économies affichent un taux de 10% ou moins.
Le risque du marché est que, face à une décote du rendement de leurs obligations, les investisseurs internationaux réduisent leur soutien et, dans certains cas, vendent, ce qui affecterait la devise. Les économies dont la balance courante est déficitaire et qui dépendent donc de la « générosité des étrangers », comme l’a dit un ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre à propos du Royaume-Uni, seraient particulièrement vulnérables. D’autres formes de contrôle financier seraient alors nécessaires, comme le contrôle des capitaux.
Lorsque toutes les économies se sont engagées dans la répression financière par le biais de l’assouplissement quantitatif, les investisseurs n’avaient guère d’autre choix que d’accepter la baisse des rendements. Dans un nouveau régime de hausse des taux et de resserrement de la liquidité, il serait plus difficile pour les différents pays de mener des politiques de répression financière indépendantes. Seuls ceux qui disposent des financements nationaux les plus solides seraient en mesure de le faire, comme l’a démontré le Japon, par exemple. Cependant, même le Japon connaît une hausse de l’inflation et a été poussé par la faiblesse du yen à changer d’orientation et à accepter des taux d’intérêt plus élevés.
Synthèse et conclusions
• Même si les banques centrales devraient remporter la bataille à court terme contre l’inflation, la politique monétaire devrait rester axée sur la maîtrise de l’inflation, ce qui pourrait laisser le champ libre à la politique budgétaire pour gérer la croissance, ou l’absence de croissance.
• Sous l’effet de la pandémie et d’un regain d’intérêt pour le « grand gouvernement », la politique budgétaire est devenue une priorité politique après plus d’une décennie durant laquelle la politique monétaire n’a pas réussi à stimuler significativement la croissance économique.
• En conséquence, nous observons un nouveau régime de politique budgétaire plus active, où l’équilibre avec la politique monétaire devrait être modifié. Les politiques monétaires ultra accommodantes de la période post-crise financière mondiale, avec des taux d’intérêt bas et une austérité budgétaire, devraient être remplacées par une nouvelle association de liquidité restreinte et de politique budgétaire plus accommodante.
• Toutefois, la voie vers un plus grand activisme budgétaire est difficile et risque d’entraîner de graves conflits avec les banques centrales et les marchés. Les autorités risquent de piloter l’économie en appuyant à la fois sur le frein et l’accélérateur. Les responsables politiques devront se méfier de l’aggravation de l’inflation et de la flambée des coûts d’emprunt.
• Les gouvernements devront maintenir leur crédibilité budgétaire, car un plus grand activisme devrait se traduire par une surveillance accrue des marchés quant à leur marge de manœuvre, y compris budgétaire.
• L’augmentation des dépenses d’investissement publiques, notamment dans la santé et les solutions climatiques, afin d’accroître la productivité à long terme et d’améliorer l’offre au sein de l’économie, aura son importance pour justifier l’activisme budgétaire. Si les investisseurs ne sont pas convaincus, les efforts visant à augmenter les dépenses ou à réduire les impôts s’essouffleront.
• Malgré le risque d’accroissement de la volatilité sur les marchés obligataires, face au mécontentement généralisé à l’égard de l’économie et à la montée du populisme, nous anticipons un changement de politique économique vers une politique monétaire plus restrictive et une politique budgétaire plus accommodante.
• La politique économique devrait devenir plus politique, la politique budgétaire impliquant inévitablement davantage de décisions en matière de dépenses et d’impôts, créant des gagnants et des perdants. Sous ce nouveau régime, nous devrions assister à des changements dans l’ensemble de l’activité, car l’augmentation des dépenses publiques éclipse l’activité dans d’autres secteurs, en particulier dans les secteurs sensibles aux taux d’intérêt.
• Sinon, la seule option est d’être plus radical et de contrer, voire de neutraliser les garde-fous des marchés obligataires. L’une des voies possibles serait de relever les objectifs d’inflation des banques centrales, une autre serait de supprimer complètement l’indépendance des banques centrales et d’utiliser la réglementation pour contenir les rendements obligataires.
• Les économies dont les comptes courants sont largement financés par des fonds extérieurs seront toujours vulnérables à la fuite des capitaux, car elles dépendent des investisseurs internationaux. Lorsque toutes les économies se sont engagées dans la répression financière par le biais de l’assouplissement quantitatif, les investisseurs n’avaient guère d’autre choix que d’accepter la suppression des rendements. Dans un nouveau régime de hausse des taux à l’échelle mondiale et de resserrement de la liquidité, il serait plus difficile pour les différents pays de mener des politiques de répression financière indépendantes.
Pour en savoir plus sur les implications pour le marché et l’économie du changement de régime, rendez-vous sur: www.schroders.com/regimeshift
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