Comment gérer les parties non durables de votre portefeuille - investir dans les transitions climatiques et autres
Dans son dernier blog, Willem Schramade, Responsable des conseils aux clients en matière de durabilité, partage ses cinq considérations clés pour investir dans les transitions.
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D’après le philosophe grec Héraclite, « panta rhei », c’est-à-dire « tout passe ». De la même manière, les économies ont toujours connu des transitions et les entreprises ont toujours dû s’adapter ou s’effondrer.
Mais certaines périodes sont plus agitées que d’autres. Pensez aux décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale, au cours desquelles toutes sortes d’inventions ont radicalement changé la vie des gens.
Il en va de même aujourd’hui. Par exemple, la durée de vie des grandes entreprises a chuté à un plus bas historique et les pressions s’intensifient pour passer à une économie plus durable.
Les gens commencent à le reconnaître : ces derniers mois, les clients ont été de plus en plus nombreux à s’interroger quant à l’investissement dans les transitions. Une grande partie de leur univers d’investissement est confrontée à de sérieux défis en matière de transition (et notamment de décarbonation, cf. mon précédent blog : Comment puis-je décarboner mon portefeuille ?) et ne peut pas être considérée comme durable.
Pourtant, en tant que propriétaires universels, ils ne peuvent ignorer cette partie de l’univers, compte tenu des objectifs de risque et de rendement et des responsabilités que beaucoup attribuent aux objectifs de durabilité. Malheureusement, la transition a été l’enfant négligé de la réglementation de la finance durable. Bien qu’il y ait des signes de changement, par exemple avec la catégorie « Improver » prévue dans les propositions de règlement sur les exigences d’information sur le développement durable au Royaume-Uni, la plupart des outils et réglementations en matière de finance durable sont axés sur la performance actuelle, récompensant ce qui est déjà bon et ne s’intéressant que peu aux trajectoires de transition.
C’est dommage, car ce qui compte le plus, c’est de transformer les entreprises et les industries qui posent problème aujourd’hui. Mais prenons du recul : qu’est-ce qu’une transition ? Quel est son fonctionnement ? Comment y investir ?
Que sont les transitions et quel est leur fonctionnement ?
La recherche académique révèle que les transitions correspondent à des changements qui durent 10 à 20 ans et au cours desquels le « régime » (sociologique) (en haut à gauche de la courbe en X ci-dessous, d’après Loorbach et coll., 2017) est poussé à évoluer en termes de son action et de son fonctionnement. Le régime peut être défini à différents niveaux : industrie, secteur ou ensemble du système économique ou social.
La remise en question du régime provient des pressions sociétales et de l’évolution des niches émergentes (en bas à gauche de la courbe en X). Il s’agit notamment des startups qui développent de nouveaux produits et solutions qui rendent les produits existants moins attractifs. Un bon exemple de ceci est l’émergence des véhicules électriques (VE) dans l’industrie automobile, sous l’impulsion d’acteurs comme Tesla et aidée par la pression sociétale liée à la réglementation des émissions.
Ce passage de l’ancien régime (en haut à gauche) au nouveau régime (en haut à droite) est probablement porté par des chocs et ne suit pas une trajectoire linéaire, les progrès étant suivis de revers. Une crise est généralement nécessaire pour qu’un régime change réellement et pour éliminer progressivement les éléments non durables (en bas à droite) – charbon, délits d’initié, blanchiment d’argent, moteurs à combustion interne, etc.
Un nouveau régime combine généralement les anciens et les nouveaux – par exemple, dans l’automobile, un certain nombre des acteurs actuels pourraient encore être présents dans dix ans aux côtés des nouveaux, mais ils seront tout à fait différents : peut-être vendront-ils la mobilité comme un service ?
Les transitions ne peuvent vraiment pas être gérées en douceur et leurs trajectoires sont imprévisibles. Mais il est possible d’en anticiper la destination probable (compte tenu des besoins sociétaux pris en compte) et de s’y préparer en dessinant la trajectoire vers cet état futur, c’est-à-dire en déterminant les étapes antérieures qui devraient être nécessaires.
Dans le cadre de la transition vers des modèles plus durables, il est probable que les externalités négatives seront de plus en plus internalisées, c’est-à-dire que leurs coûts seront supportés par ceux qui les causent, avant de disparaître en grande partie. Les canaux d’internalisation comprennent : 1) la réglementation ; 2) la technologie ; 3) la demande des consommateurs – et les trois sont en jeu dans l’exemple susmentionné des VE, où la réglementation des émissions, l’amélioration des batteries et l’émergence de nouveaux acteurs ont contraint les constructeurs automobiles historiques à passer aux VE.
Cependant, ces canaux diffèrent selon les secteurs. Dans le secteur de l’énergie, la trajectoire est relativement simple : abandon des combustibles fossiles, adoption des énergies renouvelables. Mais de nombreux autres secteurs et chaînes de valeur sont concernés aussi : transports, services aux collectivités, alimentation, services financiers, biens de consommation. Et dans le secteur des transports, l’industrie automobile est bien plus avancée dans la transition que l’industrie aérienne, etc.
Quelles sont les conséquences sur l’investissement ?
Mais quelles sont les conséquences pour l’investissement ? La recherche académique propose quelques pistes pour analyser les risques et les opportunités liés à la transition. Par exemple, dans un article récent sur la valorisation des entreprises en transition, publié dans le journal en ligne sustainabilityletters.net, le professeur Dirk Schoenmaker et moi-même avons modélisé les pertes prévisionnelles liées à la transition. Et dans un autre article publié dans le Journal of Sustainable Finance & Investment, le professeur Schoenmaker, Lars Kurznack et moi-même avons modélisé la valeur à long terme en utilisant des paramètres pour 1) l’exposition des entreprises à la transition ; et 2) leurs capacités à gérer leur exposition à la transition. Dans une analyse plus approfondie de Schroders, nous avons constaté que 15 à 20 % de la valeur actuelle des marchés actions courent un risque de perte en raison des changements qui seront nécessaires pour l’alignement sur les objectifs climat de l’accord de Paris.
Il est donc judicieux de tenir compte de l’exposition à la transition lors de la sélection des titres. Les transitions créent des gagnants et des perdants, même dans les secteurs appelés à perdre du terrain. Par exemple, dans le contexte du changement climatique, nous avons constaté que 1) les entreprises capables de réduire leurs émissions plus rapidement que leurs pairs sectoriels ont nettement surperformé et 2) que les entreprises liées aux « technologies vertes » ont surperformé (bien que de manière volatile) ces dernières années.
Cela souligne effectivement l’importance d’une gestion active prospective et de la sélectivité, plutôt que de supposer que les moteurs passés de la réussite d’une entreprise conduiront à une surperformance continue (ce que fait l’investissement indiciel dans une certaine mesure). Pour ce type d’analyse, les notations environnementales, sociales et de gouvernance ne suffisent pas, tandis que les évaluations des analystes peuvent être précieuses. Les analystes peuvent cartographier l’exposition des entreprises aux transitions. Celles-ci dépendent souvent d’externalités négatives, pour lesquelles notre outil SustainEx* est très utile. Les produits, les entreprises et les industries peuvent être cartographiés sur la courbe en X et être analysés en fonction des pressions concurrentielles. Idéalement, les analystes réussissent également à cartographier le niveau de préparation et la trajectoire de transition des entreprises.
Voici cinq considérations clés pour investir dans les transitions.
1. Investir dans des niches
La manière « facile » d’investir dans les transitions est de se positionner sur les entreprises qui construisent les nouvelles solutions, par exemple par le biais de fonds d’actions thématiques. Une voie plus difficile, mais sans doute plus fondamentale consiste à passer par le non coté : c’est surtout dans les premières phases du capital-risque que l’on trouve les niches émergentes qui innovent et forcent les acteurs historiques au changement. De fait, une grande partie des futurs leaders ne sont pas encore des sociétés cotées ou des opportunités d’investissement, étant donné que les pertes concernent généralement les retardataires parmi les sociétés et les actifs matures plutôt que le marché dans son ensemble.
2. Investir dans les entreprises en transition
Cependant, la majeure partie de l’économie mondiale (et la majeure partie de l’univers d’investissement) fait à la fois partie du problème et de la solution. Les grandes entreprises bien établies (« les émetteurs en transition ») devront réinventer des pans entiers de leur modèle économique, ce qui présente à la fois des risques et des opportunités. Il est plus difficile d’investir dans celles-ci, mais de tels investissements peuvent être plus gratifiants s’ils sont bien faits. De cette façon, les gérants actifs permettent aux investisseurs de participer à la valeur libérée grâce à une transition effective et réussie – cette valeur est déjà une source d’alpha dans certains cas et est susceptible de le devenir davantage si la pression pour s’adapter augmente et si les coûts liés à l’incapacité à s’adapter s’alourdissent.
3. Le rôle crucial de l’engagement et de la crédibilité
L’engagement en faveur de la transition est précieux tant pour la société que pour les investisseurs. De fait, certains propriétaires d’actifs suggèrent déjà de transférer la base des commissions de performance de l’alpha aux résultats de l’engagement sur certaines questions importantes. Dans la pratique, le prétendu compromis entre alpha et engagement pourrait être injustifié. En effet la relation entre les deux est plutôt entrain de se renforcer : comme nous l’avons déjà affirmé à maintes reprises, l’efficacité de notre influence et de notre engagement devient de plus en plus importante pour notre capacité à générer de l’alpha. Il est attendu des gérants de fonds axés sur l’engagement qu’ils construisent des portefeuilles « buy and hold » très concentrés, capables de générer des rendements financiers au taux du marché, tout en surperformant en termes d’engagement. Cela représenterait un changement significatif dans la proposition de valeur et la raison d’être des gestionnaires d’actifs. La patience est essentielle. Au plus fort de la transition, les entreprises peuvent être confrontées à des baisses importantes (mais que l'on espère temporaires) de leur rentabilité et à une hausse des dépenses d’investissement. À ce stade, elles pourraient être fortement sous-évaluées et le soutien d’investisseurs engagés à long terme qui les soutiennent dans leur parcours leur sera nécessaire.
4. Crédibilité
Un défi majeur est la crédibilité de la démarche : après tout, on peut investir dans des entreprises qui posent problème en prétendant investir dans la transition, mais sans rien faire pour les aider réellement à s’améliorer – ce qui est financièrement tentant, car l’engagement est coûteux. Par conséquent, le « transition washing » est un risque réel et pourrait expliquer l'absence d'inclusion de l'investissement de transition dans l'investissement durable.
Il y a toutefois un moyen de résoudre ce problème : en définissant une catégorie de transition distincte avec des garanties suffisantes en termes d’efforts de transition. Les garanties pourraient inclure des normes minimales sur le degré d’engagement, la présentation de rapports et des exigences quant à l’intensité nécessaire de l’engagement auprès de chaque position d’un fonds. Nous nous attendons à ce que le règlement sur les exigences de publication d’informations en matière de durabilité (SDR) au Royaume-Uni s’avère important pour définir ce type de critères.
5. Démonstration des progrès
Un autre défi, qui est lié à celui de la crédibilité, concerne la façon de démontrer les progrès. Quelle est la trajectoire de transition, quels sont les objectifs et dans quelle mesure sont-ils atteints ? Comme cela a été dit, l’engagement est crucial pour y parvenir. Cependant, le secteur de la gestion d’actifs ne dispose d’aucun moyen efficace pour faire la distinction entre un engagement sous forme d’e-mail groupé et les efforts approfondis pour stimuler le changement de manière réfléchie – et tous les degrés entre ces deux extrêmes. On parle d’engagement dans ces deux cas, mais leur nature et leurs résultats sont tout à fait différents. Par exemple, nous avons constaté que les entreprises prioritaires auprès desquelles nous nous sommes récemment engagés sur le climat étaient presque deux fois plus susceptibles de se fixer un « objectif inférieur à 2 degrés Celsius ».
De telles différences seront probablement plus visibles avec le temps à mesure que les transitions gagneront en importance dans l’ensemble du secteur de la gestion d’actifs. Chez Schroders, nous demandons aux analystes et aux gérants de portefeuille d’entreprendre au moins trois engagements de qualité par an, afin de garantir l’engagement le plus efficace possible et d’avoir les meilleures chances d’encourager le changement. En outre, la transition est déjà une caractéristique pour de nombreux fonds.
La réalisation d’une économie plus durable nécessite d’investir dans les transitions. Alors s’il vous plaît, regardez au-delà des notations et des empreintes actuelles : c’est la trajectoire à venir qui compte. Nous espérons que les régulateurs lisent eux aussi ce document.
*Schroders utilise SustainEx™ pour estimer l’impact net d’un portefeuille d’investissement en tenant compte de certaines mesures de durabilité par rapport à l’indice de référence d’un produit le cas échéant. Pour ce faire, SustainEx™ utilise des données de tiers ainsi que des estimations et des hypothèses propres à Schroders, et le résultat peut différer d’autres outils et mesures de durabilité.
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