Inflation post Covid-19 : oui ou non ?
Nous avons parlé avec deux experts, qui ont présenté leurs arguments pour et contre l’inflation dans un avenir proche et leurs conséquences pour les investissements.

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Abdallah Guezour, responsable de la dette des marchés émergents et des matières premières, et Keith Wade, économiste en chef, discutent des perspectives de l’inflation dans le contexte de la crise de la Covid-19.
Abdallah estime que l’inflation devrait repartir à la hausse et explique pourquoi elle pourrait être comprise entre 4 et 6 % au cours des cinq prochaines années.
Keith, au contraire, écarte la possibilité d’une flambée inflationniste et pense que l’impact persistant de la Covid-19 devrait freiner la demande et provoquer potentiellement un choc déflationniste.
Les deux scénarios pourraient avoir des conséquences importantes sur les investissements. Ils discutent des gagnants et des perdants potentiels.
Les arguments POUR l’inflation (Abdallah Guezour…) :
Quelle est la probabilité d’une hausse de l’inflation au cours des deux ou trois prochaines années ?
La probabilité d’un retour de l’inflation dans les deux à trois prochaines années a fortement augmenté pour trois raisons principales.
Premièrement, l’assouplissement monétaire et budgétaire agressif actuellement mis en place dans le monde entier est sans précédent et devrait provoquer des pressions inflationnistes dans un avenir proche. Les banques centrales ont massivement recours à la création monétaire, ce qui entraîne une hausse record de la masse monétaire à l’échelle mondiale.
Deuxièmement, les chocs de l’offre résultant de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine l’année dernière ont été exacerbés par les mesures de confinement liées à la Covid-19 (occasionnant un recul de la mondialisation, voire une démondialisation) et pourraient avoir des effets inflationnistes.
Troisièmement, la tendance baissière prolongée du marché des matières premières et l’effondrement des cours du pétrole ont entraîné une destruction importante de l’offre. Des signes de normalisation de la demande pourraient faire grimper les prix des matières premières par rapport à leurs niveaux historiquement bas.
Où l’inflation pourrait-elle apparaître en premier lieu ?
L’inflation pourrait apparaître en premier lieu dans les pays dont les devises ont connu une forte dévaluation, comme certains marchés émergents.
Une panique inflationniste pourrait également démarrer aux États-Unis. La solidité globale du dollar US au cours des dernières années a produit un effet déflationniste. Le dollar US a été soutenu par des différentiels de taux d’intérêt et de croissance favorables, qui sont tous deux en train de disparaître maintenant.
La Fed monétise agressivement le déficit budgétaire américain. Le « double déficit » américain (tant sur le plan budgétaire que sur le plan de la balance des paiements courants) devrait atteindre 20 % du PIB cette année. La faiblesse du dollar devrait avoir un effet inflationniste pour les États-Unis et à l’échelle mondiale.
En quoi l’assouplissement quantitatif mené au cours de la crise de la Covid-19 est-il différent de celui qui a été mis en place au cours de la crise financière mondiale de 2007-2008 ?
L’assouplissement quantitatif (QE) actuel – dans le cadre duquel les banques centrales achètent des titres à long terme, comme des obligations, pour accroître la masse monétaire et encourager les prêts et les investissements – est différent de celui qui a été mis en place au cours de la crise financière mondiale de 2007-2008.
À l’époque, l’argent créé par les banques centrales n’avait pas atteint l’économie réelle, car il avait été utilisé pour stabiliser un système financier au bord de l’effondrement.
Le mécanisme de transmission de la politique monétaire était cassé à ce moment-là et la majeure partie de l’argent créé après la crise a terminé dans les réserves excédentaires des banques commerciales américaines et a également gonflé les prix des actifs.
Cette fois-ci, l’assouplissement quantitatif (QE) semble atteindre l’économie réelle. Le processus de création monétaire actuel finance directement les dépenses publiques et soutient les prêts bancaires, comme l’illustre l’essor actuel des prêts commerciaux et industriels aux États-Unis. Une telle hausse n’avait pas été observée au cours de la crise financière mondiale de 2007-2008.
L’assouplissement quantitatif actuel, qui semble n’obéir à aucune limite de montants ni de durée, s’est également généralisé. Un certain nombre de marchés émergents se tournent même à présent vers certaines formes de QE. Toutes ces politiques devraient bientôt devenir inflationnistes.
Quel niveau l’inflation pourrait-elle atteindre ?
L’inflation des prix à la consommation pondérée par le PIB mondial s’établit dans la fourchette des 2 à 4 % et pourrait dans un premier temps passer à 4-6 % au cours des trois prochaines années. La reprise initiale de l’inflation devrait en fait être positive pour la reprise de la croissance mondiale.
Toutefois, les banques centrales et les États ne normaliseront pas prématurément les politiques monétaires et budgétaires. À terme, Ils seront contraints de le faire, lorsque les marchés réagiront à une panique inflationniste et/ou à une crise budgétaire face à l’accumulation massive des déficits budgétaires à l’échelle mondiale.
Les arguments CONTRE l’inflation (Keith Wade) :
Pourquoi l’inflation ne devrait pas forcément repartir à la hausse
Le choc actuel est en fait extrêmement déflationniste. Les mesures de confinement ayant entraîné un effondrement de la demande, les prix ont davantage eu tendance à baisser qu’à augmenter.
L’exemple le plus extrême est celui de l’industrie pétrolière où on constate une chute de la demande d’environ un tiers et un effondrement des cours du pétrole. Les données récentes sur l’inflation mondiale restent très faibles, avec une baisse record de l’inflation sous-jacente aux États-Unis et une forte baisse du taux global.
L’insuffisance de la demande oblige les entreprises à appliquer des remises sur leurs produits, et dans de nombreux cas, elles ne peuvent pas les vendre du tout. À mesure que l’économie commencera à s’ouvrir, la situation devrait améliorer. Toutefois, nous pensons que les entreprises continueront d’offrir des remises relativement agressives, si bien qu’à court terme, l’inflation sera faible.
Pour modéliser l’inflation, nous avons examiné les capacités excédentaires de l’économie (l’écart de production), que l’arrêt des activités dû à la Covid-19 a contribué à accroître.
Le chômage américain a atteint près de 15 % et pourrait encore augmenter. Au Royaume-Uni, deux millions de personnes ont demandé des aides sociales, une tendance que nous constatons également dans toute l’Europe.
Ces économies se redressant, les gens retrouveront du travail, mais la levée très progressive des mesures de confinement signifie que la reprise sera elle aussi progressive.
Le rebond rapide que tout le monde espérait au moment où la crise a commencé n’est pas pour aujourd’hui.
Nous pensons que des capacités excédentaires subsisteront et exerceront une pression baissière sur l’inflation jusqu’en 2021 voire jusqu’en 2022.
La zone euro et le Japon, en particulier, ayant connu une faible inflation même avant la crise, pourraient bien connaître des périodes de déflation. Je pense que la déflation représente un risque plus élevé que l’inflation à l’heure actuelle.
Quels sont les effets secondaires d’une inflation insuffisante voire d’une déflation ?
Le Japon a passé la majeure partie de la dernière décennie à tenter de stimuler son économie et de sortir de la déflation, ce qui indique combien il est difficile de créer de l’inflation.
Faire apparaître de l’inflation exige une augmentation soutenue de la masse monétaire.
À l’heure actuelle, l’augmentation de la masse monétaire reflète les emprunts des entreprises qui ne disposent pas de liquidités et tentent de survivre.
Il ne s’agit pas d’entreprises empruntant pour dépenser ou investir, ce qui serait inflationniste. Dans ce scénario, la déflation devient un problème.
En cas de forte augmentation des emprunts, s’il y a déflation, la charge réelle de cette dette augmente, ce qui pèse négativement sur l’activité économique.
L’économie peut-elle se redresser sans inflation ?
À long terme, l’activité économique est portée par les forces structurelles et les changements démographiques comme l’innovation et la technologie, plutôt que par l’inflation.
Par exemple, les dépenses de santé augmenteront probablement à la suite de cette crise. Nous devrions constater une accélération de l’innovation, un bond des technologies et une hausse des embauches, qui devraient être une source de croissance. Ces tendances sont déjà portées par l’accroissement de la demande de la part d’une population vieillissante.
En raison du confinement, les technologies de télétravail, les conférences téléphoniques, les achats en ligne, etc., devraient tous enregistrer un regain de croissance.
C’est le processus classique de l’activité économique – une destruction créative créée par différents événements – ce qui signifie que certains emplois sont perdus, mais que l’économie se réorganise et réaffecte les ressources dans les zones où il y a de la croissance.
Il est cependant très difficile d’anticiper d’où proviendra la demande.
Conséquences en termes d’investissement :
Quels actifs, secteurs ou régions sont susceptibles de prospérer dans un monde inflationniste ? (Abdallah Guezour)
L’histoire nous montre que l’or a tendance à bien se comporter en période de hausse de l’inflation. Les devises des pays exportateurs de matières premières, de divers secteurs liés aux matières premières ainsi que les actions d’entreprises liées aux ressources devraient également être relativement performantes.
Les obligations à haut rendement et les actions des marchés émergents, en particulier celles des pays qui pourraient bénéficier de la hausse des cours des matières premières, pourraient également être soutenues par un éventuel retour de l’inflation.
Même une légère hausse de la demande mondiale pourrait entraîner une forte hausse de certaines de ces matières premières, car elles se négocient à des niveaux très bas et sont généralement sous-pondérées par les investisseurs.
Les obligations d’État pourraient constituer le plus grand risque, car les rendements sont négatifs dans certains pays développés ou très faibles, avec un potentiel de hausse très limité.
Même si nous observons un ralentissement économique prolongé, la performance de ces obligations devrait être décevante au cours des prochaines années.
Sans inflation, quels sont les secteurs d’actifs et les régions qui pourraient prospérer ? (Keith Wade)
Dans un monde caractérisé par une inflation faible ou par la déflation, il est préférable de détenir des intérêts fixes, notamment des obligations d’État, c’est-à-dire des actifs sûrs. Toutefois, leurs rendements sont faibles pour tenir compte de la faiblesse de l’environnement économique.
Plus généralement, sur les marchés du crédit, certaines obligations « investment grade » (à faible risque) et à haut rendement présentent un intérêt.
L’accent doit être mis sur la recherche d’entreprises résilientes et capables de bien se comporter dans ce type d’environnement. Les secteurs de croissance comprennent les secteurs des technologies, de la santé et des biotechnologies.
Beaucoup d’entreprises chercheront à rendre les chaînes d’approvisionnement plus résilientes, par exemple, en faisant davantage appel à la robotique, en faisant intervenir l’intelligence artificielle et en utilisant moins de personnes, en d’autres termes, en relocalisant la production dans le cadre d’une « quatrième révolution industrielle ».
Le changement climatique constitue un autre thème général. Bien qu’il soit distinct du problème Covid, il implique de rechercher des domaines de croissance et de dépenses qui seront soutenus malgré un environnement déflationniste. Le changement climatique devrait générer un certain nombre d’investissements. Il est indispensable de trouver des thèmes et des sociétés de qualité idéalement positionnées pour bénéficier de ces investissements.
Ces innovations risquent de limiter une partie des échanges commerciaux au sein des marchés émergents, qui dépendent encore beaucoup du commerce mondial. En général, je pense qu’il s’agit de rechercher des entreprises dans le cadre d’une approche plus microéconomique, plutôt que d’appliquer une approche régionale ou géographique à cette question.
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