L'impact des sécheresses sur le mix énergétique
À mesure que le réchauffement climatique s'intensifie, les phénomènes météorologiques extrêmes, comme les sécheresses, deviennent plus fréquents et leurs dégâts économiques plus importants.
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Lorsque l’on pense à l'impact des sécheresses sur l'activité économique, le secteur agricole est le premier qui vient à l’esprit. Il est en effet très sensible à la variabilité des conditions climatiques, la baisse de la production agricole étant le premier dommage direct du manque d'eau. Mais l’agriculture n'est pas la seule à être impactée. L'énergie et les transports sont également affectés par les sécheresses, et ce sont les secteurs sur lesquels porte notre analyse dans cet article.
Cet été, dans le nord de l'Italie, des températures anormalement élevées ont déclenché la plus forte sécheresse depuis 70 ans. Le Pô, plus long fleuve d'Italie, a atteint un niveau d’étiage historique après des mois sans fortes pluies et avec peu de neige dans les montagnes. Le fleuve est une source vitale d'eau utilisée pour l’eau potable, l'agriculture et la production d'énergie dans le nord de l'Italie, et la crise de l'eau actuelle affecte lourdement le stockage d'énergie issue de son système hydroélectrique. Début 2022, la valeur énergétique contenue dans les réservoirs italiens était inférieure de 22 % à la moyenne pour la même semaine sur les sept années précédentes. Comme le montre le graphique 1, les réserves hydroélectriques ont encore baissé au cours de l'été et affichent désormais un niveau inférieur de plus de 40 % à la moyenne historique.
Plus de 85 % des 4 000 centrales hydroélectriques en Italie sont situées dans le nord du pays. L’électricité hydraulique est la plus ancienne source d'énergie renouvelable ; elle représente environ 35 % de la production totale d'énergie verte, et satisfait habituellement plus de 15 % de la demande énergétique italienne. La pénurie d'eau actuelle exacerbe la crise énergétique, car la sécheresse touche l'économie à un moment où l'approvisionnement en gaz est mis à mal par la guerre entre la Russie et l'Ukraine.
La production espagnole d'hydroélectricité, qui représente plus de 11 % de l'énergie totale produite dans le pays, fonctionne également à des niveaux très bas. Cet été, elle était inférieure de plus de 30 % à sa moyenne sur les sept dernières années (cf. graphique 2 ci-dessous).
D'autres pays sont également touchés
Ce problème ne concerne pas que l’Europe. Les sécheresses entraînent des perturbations importantes dans la production d'hydroélectricité en Chine. Par exemple, la province du Sichuan, dont 80 % des besoins en énergie sont couverts par l'hydroélectricité, connaît la pire sécheresse depuis plus de 50 ans. Des restrictions sur l'approvisionnement en électricité ont été mises en place en raison des faibles niveaux d'eau, et certains grands constructeurs automobiles, comme Toyota, ont indiqué avoir dû arrêter la production pendant plusieurs jours dans leurs usines de la région.
Les États de l’Ouest des États-Unis sont également touchés par la sécheresse. Le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) a récemment souligné que, après plus de 10 ans de temps sec, les deux plus grands réservoirs hydroélectriques des États-Unis sont actuellement à leurs plus bas niveaux historiques. Le lac Mead et le lac Powell fournissent de l'eau et de l'électricité à des dizaines de millions de personnes dans les États du Nevada, d'Arizona, de Californie, du Wyoming, du Colorado, du Nouveau-Mexique et du Mexique. Le PNUE a également averti que si la sécheresse persiste, ces réservoirs pourraient finalement atteindre le statut de « dead pool » (bassin mort). Cela se produit lorsque le niveau des barrages tombe si bas que l’eau ne peut plus s’écouler en aval et alimenter les centrales hydroélectriques.
Des générateurs au gaz naturel sont utilisés pour compenser la baisse de la production d’hydroélectricité peu coûteuse. L'Agence américaine d'information sur l'énergie (Energy Information Agency, EIA) a analysé les effets de la sécheresse en Californie. L'analyse prévoit que dans un scénario de sècheresse, les prix de gros de l'électricité dans l'État augmenteront de 5 à 7 % par rapport au cas médian. Le cas médian est défini comme l'approvisionnement médian en eau entre 1980 et 2020 (graphique 3).
L’étude conclut également que les prix sur les marchés voisins de l'électricité, à savoir l'Arizona et le Nord-Ouest, augmenteront en cas de scénario de sécheresse. La Californie devra importer davantage d'électricité en provenance des régions voisines pour faire face à la diminution de sa production hydroélectrique, ce qui exercera une pression sur l’approvisionnement en électricité sur d'autres marchés.
L'analyse de l'EIA montre comment les risques climatiques physiques peuvent accroître les pressions sur les prix, alors que de nombreuses économies sont confrontées à une inflation déjà élevée. Le recours au gaz pour remplacer la perte de production hydroélectrique menace également d'aggraver la crise climatique, du fait de l’augmentation des émissions de carbone, et l'EIA anticipe des émissions de CO2 en Californie supérieures de 6 % au cas médian.
Afin d'éviter cette augmentation des émissions, les pays pourraient se tourner vers d'autres sources d'énergie zéro carbone. La France, par exemple, couvre 70 % de ses besoins en électricité avec l'énergie nucléaire. Toutefois, le pays n’est pas épargné car la production d'énergie nucléaire est également limitée par les sécheresses.
Les réacteurs nucléaires français utilisent les fleuves pour le refroidissement, et la production doit être réduite lorsque la température des cours d’eau atteint certains seuils. Cette précaution permet d’éviter que l'eau utilisée pour refroidir les réacteurs ne nuise à l'environnement lors de son rejet dans les fleuves. Cela intervient au moment où EDF, fournisseur français d'énergie, réduit déjà sa production, car certains de ses réacteurs nucléaires sont en cours de maintenance pour des problèmes de corrosion.
Depuis le début de l'année, 15 % des 56 centrales nucléaires françaises ont été contraintes de réduire leur production en raison de problèmes environnementaux, selon les rapports soumis par EDF. Le graphique 4 montre les pertes quotidiennes de production d'énergie nucléaire dues à la hausse des températures. La baisse de production a commencé début mai, lorsque l'Europe occidentale a connu la première canicule de l'année.
De nouvelles restrictions à la production d'énergie nucléaire ont été mises en place durant l'été, ce qui a entraîné une réduction de plus de 5 % de la capacité nucléaire totale en juillet. Cela a accentué la crise énergétique en Europe.
Les sécheresses ont également un impact sur le transport de marchandises
Le transport, en particulier celui empruntant les voies navigables intérieures, est en effet un autre secteur de l'économie qui peut être affecté par les sécheresses. Le faible niveau d'eau peut réduire la navigabilité des voies puisque les bateaux ne peuvent pas opérer à pleine capacité, les cargaisons devant être allégées.
Les voies navigables intérieures jouent un rôle essentiel pour le transport de fret dans de nombreux pays du monde, mais ce problème est devenu particulièrement grave en Allemagne ces dernières années. Selon le ministère fédéral des Transports, environ 240 millions de tonnes de marchandises en vrac sont transportées par an via les voies navigables fédérales allemandes, soit près de 75 % des marchandises acheminées par chemin de fer dans le pays. Près de 70 % du transport de produits industriels tels que le charbon, le pétrole brut, les produits de four à coke et les produits chimiques se fait par le Rhin, l'un des plus longs fleuves d'Europe.
Le graphique 5 montre l'impact des sécheresses sur l'activité des voies navigables intérieures en Allemagne. Au cours des trois derniers étés, l'indice normalisé d'évapotranspiration des précipitations (SPEI), indicateur de conditions de sécheresse, a atteint des valeurs inférieures à -1,5, soit un niveau de sécheresse considéré comme sévère et, durant ces périodes, le transport de fret autorisé a considérablement diminué, limitant la production industrielle. Les recherches du Kiel Institute ont révélé qu'au cours d'un mois comptant 30 jours d’étiage, la production industrielle allemande est inférieure d'environ 1 % à celle observée pour un mois avec des niveaux d'eau normaux.
Il faut souligner par ailleurs que la baisse du transport de fret a également un impact sur le secteur de l'énergie, car le Rhin est utilisé pour transporter du charbon par barges depuis les ports d'Amsterdam, de Rotterdam et d'Anvers. Le Rhin s'assèche en raison de l’élévation des températures et du déficit pluviométrique, et son niveau d'eau extrêmement bas entrave donc l’approvisionnement des centrales à charbon allemandes. Certains producteurs d'électricité allemands ont récemment averti que la production de leurs centrales électriques au charbon allait baisser en raison des difficultés d'approvisionnement en carburant.
L'éolien et le solaire peuvent venir à la rescousse
Les risques physiques, qui ont déjà un impact significatif sur l'économie mondiale, vont probablement encore augmenter. À mesure que le réchauffement climatique s'intensifie, les épisodes de sécheresse risquent de devenir plus fréquents au cours de la prochaine décennie. Nous avons souligné l’impact des sécheresses sur l'activité dans le secteur de l'énergie. La baisse de la production des centrales nucléaires, hydroélectriques et au charbon est particulièrement dommageable en Europe, car elle exacerbe la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine. Il semble que la sécheresse récente sème la tourmente dans la production d'électricité européenne, mais elle souligne le besoin de diversification des sources d’approvisionnement en électricité.
L'éolien et le solaire sont non seulement les gagnants de la transition énergétique, mais ils peuvent également améliorer la sécurité énergétique car ils protègent les économies européennes des risques géopolitiques en réduisant leur dépendance aux combustibles fossiles importés. En outre, l'utilisation accrue de sources d'énergie zéro carbone comme l'éolien et le solaire contribuera à limiter le réchauffement climatique et donc l'impact des risques physiques sur l'activité économique à long terme. Ces sources seront par ailleurs inépuisables une fois la technologie nécessaire développée, contrairement à l'énergie fossile. Toutefois, elles présentent certaines limites car leur production est fluctuante, la capacité de répondre à la demande d'électricité avec la production d'énergie éolienne dépendant de facteurs tels que la localisation et la météo. Cela souligne l'importance d'un mix énergétique bien diversifié : les solutions multitechnologies, utilisant différentes sources d'énergie généralement décorrélées, peuvent contribuer à garantir la stabilité du système.
En outre, l'amélioration de la flexibilité du réseau et l'investissement dans les technologies de stockage d'énergie doivent également faire partie de la solution. En particulier, les mécanismes de stockage et les centrales de secours devraient jouer un rôle essentiel dans les périodes où le vent et le rayonnement solaire sont faibles. Ces technologies peuvent résoudre le problème de saisonnalité des énergies renouvelables. Enfin, les mécanismes de gestion de la demande sont également importants, car ils permettent de réduire la consommation d'énergie grâce à des investissements qui améliorent l'efficacité énergétique.
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