Pourquoi les banques centrales ont besoin de frictions dans leurs modèles
Alors que les banques centrales ont du mal à assurer l’efficacité de leurs politiques, serait-il possible que ce soit leurs modèles qui soient en fait responsables ?

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La plupart des modèles des banques centrales supposent des relations stables « néoclassiques » sans frictions financières et des agents qui ne sont jamais en défaut de paiement.
Dans une économie sans friction, les flux financiers sont alloués aux projets les plus productifs, indépendamment de qui a l’argent, de l’appétit pour le risque, la patience, la richesse ou les incitations de ces agents.
Dans un tel monde, les banques ne sont pas nécessaires, puisque tout le monde peut emprunter et prêter au même taux d’intérêt sans risque, et la monnaie est également inutile, puisque les reconnaissances de dette de tous sont instantanément et parfaitement acceptables.
Ce monde est hélas imaginaire.
Comme l’a fait remarquer mon ami Charles Goodhart, professeur émérite à la LSE (London School of Economics) et ancien membre du Comité de politique monétaire, qui a eu 80 ans la semaine dernière : « Le défaut de paiement est à la liquidité ce que le péché est à la sainteté en religion ».
Dans le monde réel, les gens peuvent ne pas rembourser une dette, s’ils peuvent le faire sans être pénalisés ou s’ils y sont forcés. Il en est de même pour les banques, mais celles-ci jouent un rôle beaucoup plus central dans nos économies.
Ignorer ce rôle, et les fonctions centrales des banques au sein de notre système de crédit et de paiement, n’est ni réaliste ni utile.
La demande de crédit du secteur privé, la rentabilité des banques, l’adéquation des fonds propres et l’aversion au risque : tous ces éléments ont un impact non seulement sur les agrégats financiers, mais aussi sur le patrimoine financier et l’économie réelle, par des biais différents.
Les modèles sur lesquels les banquiers centraux se sont appuyés, qui ne tiennent pas compte de la façon dont les banques fonctionnent, ne sont par construction que des versions trop simplistes, décrivant des conditions idéales.
Cette incapacité à reconnaître comment les banques et les autres intermédiaires financiers réagissent explique en grande partie pourquoi la politique d’assouplissement quantitatif a « largement perdu de son influence », pour citer encore Charles.
Il n’y a tout simplement pas eu de création de crédit, malgré les relances monétaires répétées.
Prenez le récent programme de la Banque centrale européenne (BCE), (le « TLTRO 2 » pour « Long term refinancing operations 2 », en anglais). Pour l’instant, les banques de la zone euro ont utilisé moins de 5 % des 1 600 milliards d’euros supplémentaires, malgré le fait que la BCE offre 0,4 % aux banques pour prendre cet argent.
La première version de l’assouplissement quantitatif (QE1) s’est avérée remarquablement efficace, non seulement parce qu’elle a donné une indication sur les taux d’intérêt officiels futurs ou simplement pour des raisons d’équilibre des portefeuilles, mais parce qu’elle a fourni beaucoup de liquidités à un système bancaire et financier tétanisé par la peur d’une aggravation du risque de défaut.
Le QE1 a réduit les primes de risque, en particulier dans le système bancaire, de façon spectaculaire.
Mais à partir du moment où les besoins de liquidité du système bancaire ont été effectivement comblés, les programmes de QE suivants sont devenus de plus en plus inefficaces.
Si l’assouplissement quantitatif s’avère moins efficace, des taux négatifs sont une expérience dangereuse aux effets positifs en diminution.
J’ai peur que beaucoup de banques centrales ne négligent l’impact défavorable de taux d’intérêt négatifs sur la rentabilité et la situation financière des banques, des compagnies d’assurance, des fonds de pension et des autres intermédiaires.
Prenez les problèmes récents des banques de la zone euro qui sont parmi les plus durement touchées par des taux négatifs.
Ou examinez la Suisse et la Suède, où les banques ont relevé leurs marges sur les prêts aux entreprises et les prêts hypothécaires pour compenser l’impact des taux négatifs — contrairement aux objectifs des autorités.
La nécessité pour le Japon de changer l’orientation de sa politique monétaire après que des taux négatifs en janvier n’ont pas permis d’atteindre ses objectifs est également très révélatrice.
Ce qui a le plus contribué à la renommée de M. Goodhart est peut-être sa maxime « quand une mesure devient une cible, elle cesse d’être une bonne mesure. »
Lors d’une conférence de la LSE organisée pour célébrer les contributions de Charles à l’économie la semaine dernière, j’ai proposé une deuxième loi de Goodhart en l’honneur de son 80 ème anniversaire. « Quand les politiques des banques centrales négligent les frictions financières dans le mécanisme de transmission, elles perdent de leur efficacité ».
Cela ne devrait pas vouloir dire devenir laxiste avec les intermédiaires. Au contraire, cela justifierait que l’on porte vraiment attention à la santé des banques systémiques et des chambres de compensation.
Cela voudrait dire aussi rester vigilant pour détecter quelle autre partie du système financier pourrait commencer à poser un risque systémique, bien que selon moi, les fonds communs de placement et les fonds de pension ne soient pas de nature systémique.
Vues sous cet angle, certaines des nouvelles idées fantaisistes proposant d’abolir la monnaie, telles que celles proposées par Kenneth Rogoff afin d’imposer des taux d’intérêt négatifs d’une ampleur beaucoup plus grande sur la société, ne pourraient pas fonctionner.
Soit elles entraîneraient des conséquences dommageables sur les intermédiaires, soit le gouvernement devrait affirmer publiquement que l’objectif ultime de l’opération est de réduire la valeur de l’épargne de la population au fil du temps.
Cette nouvelle loi préconise également que l’on attache plus d’importance aux secteurs du logement et des infrastructures, non seulement pour leur impact direct sur l’économie, mais aussi parce qu’ils impliquent que des prêts supplémentaires soient accordés par les intermédiaires.
Chaque Comité de politique monétaire devrait compter des membres qui comprennent le fonctionnement interne réel des intermédiaires financiers. Il est temps d’inclure des frictions financières dans les modèles macroéconomiques.
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